Outre son indéniable efficacité visuelle, le travail de Laurette Atrux-Tallau séduit le spectateur attentif par son souci de multiplier le temps au sein des images. Attardons nous dans cet univers ou formes colorées et multiplications décoratives sont quelques superfuges bénéfiques à l’élaboration d’une œuvre qui mélange franchise et mystères.
Alors qu’elle était étudiante à Nice, en la Villa Arson, elle réalisa une série de portraits à la méthodologie « tortionnaire ». L’unique consigne tenant en un tonique « Ne pas bouger ». La pose était maintenue deux minutes. Techniquement inutile, ce temps suspendu mettait à rude épreuve les muscles et la patience des jeunes cobayes. Le résultat tient en une série de planches contacts reprenant ces visages mouvants et hallucinés. Les moments enregistrés sont la somme de ceux gagnés sur le mouvement. Quelques rares portraits furent tirés. Il en ressort des images issues d’un monde trop net, à la fixité étrange.
Le processus fut reconduit avec un duo, celui d’une femme fixe et d’une autre presque abstraite, tant elle a peu résisté à un hyperkinetisme si contemporain. Laurette Atrux-Tallau prolonge la capture de l’instant afin d’enrichir l’image de multiples strates temporelles additionnées qui formeront, ici, un ensemble halluciné et complexe.
Les méthodes de travail de Laurette Atrux-Tallau sont à rapprocher de celle d’un chercheur. Son atelier peut se transformer en un laboratoire où elle serait une petite fille espiègle, s’attachant à observer des micro-évenements dans la cuisine familiale. Ainsi, en observatrice patiente, elle va chercher à capturer les moments de modification d’état de différents objets. Elle photographiera des boules de glace se liquéfiant, des graines qui germent, des pâtes à pain en phase de levée, ou encore des morceaux de sucre gorgés de café.
Les boules de glace seront tour à tour agrandies (telles des soucoupes) ou surmultipliées (tel un motif papier peint), elles sont en partie liquéfiées mais conservent un petit dôme caractéristique -indice permettant d’identifier un objet qui a perdu sa lisibilité-. Les graines sont, elles, saisies au moment même de la rupture de la coque, au passage de l’état de graine à celui de pousse en devenir. Les pâtes à pain sont scrutées durant un quart d’heure dans leur lente ascension, de sorte que co-existent des parties floues et d’autres à la netteté manifeste. Les sucres, quant à eux, se décomposent progressivement. Ils comptent trois registres : la base se donne, se mue en une pâte brunâtre, mole, sans tenue qui atteint à la stabilité globale de l’édifice. Le centre n’a bénéficié du café que par propagation, il conserve la texture du sucre, mais sa couleur est modifiée. La strate la plus haute est, elle, restée intacte.
Dans le cadre du festival Bitume, 1999, LAT a présenté des photographies grand format de talons de chaussures. La franchise évidente de ces images, le caractère sculptural voire architectural saisissent le spectateur. Le talon s’y fait trait d’union entre l’homme et la ville, il devient, au fil du temps, le lieu ou se grave la mémoire des instants passés à arpenter les rues. L’usure offre la possibilité de percevoir, les moments stockés dans l’objet, le temps s’y incarne.
Au terme de son passage en la Fondation de la tapisserie à Tournai, elle a présenté, en projection, une impressionnante vidéo. On y voit ses bras effectuant des mouvements afin de poursuivre la matérialisation d’une gigantesque boule de laine. La séquence ne nous montre ni l’origine de cette forme, ni sa finalité. Sa masse est, dans le laps de temps de la vidéo, invariablement identique au regard du spectateur. Malgré les efforts que l’artiste met en place par des gestes violents, mécaniques et brutaux ils semblent condamnés à se prolonger jusqu’à épuisement tels ceux de Sisyphe. Douleurs et abrutissements du geste créateur. Mais aussi, condamnation de l’artiste à produire une pièce crédible qui manifeste visuellement une année de bourse. Comme si le public demandait à se voir matérialiser le temps -long de préférence- nécessaire à son contentement. Cette vidéo offre un moment unique, critique mais juste. Elle éblouit par sa force brutale autant que par ces qualités plastiques.
L’ensemble des travaux préalablement décrit, participe d’une minutieuse mise en place des objets dans l’espace, d’un soin absolu dans les cadrages, ainsi d’une scrupuleuse attention portée à la sélection des images. Le travail se construit dans l’espace de l’atelier. Le protocole est reconduit jusqu’à l’obtention de l’image parfaite, saisi à l’instant ad hoc. Quitte à devoir tout réorganiser ou à attendre la reconduction des conditions optimales de réalisation. On n’ose imaginer combien d’omelettes ou de crèmes anglaises sont nées de la série des œufs !
Elle va, dans une des séries les plus récentes, s’approprier des traces laissées par des petites masses dans un gazon. Au centre de cet univers verdoyant, une zone jaunâtre témoigne une présence dorénavant disparue. Le temps fait son œuvre, mais la majeure partie de l’image clame une vitalité vigoureuse. Les herbes semblent avoir bénéficié des conseils d’un chorégraphe, disposées comme elles le sont en de savantes compositions. La richesse et la diversité des mouvements de la végétation l’ont poussée à prendre directement les clichés plutôt que de réaliser elle même des traces dans le gazon.
De l’image fixe, par instants mouvante à la vidéo, le travail de Laurette Atrux-Tallau explore avec efficacité et intelligence le rapport que la photographie entretient avec ses limites et principalement avec celles liées au temps. Nous avons pu découvrir que les choix d’une fixité étrange, d’un moment de modification d’état, d’un mouvement perpétuel, mettent en place des images qui induisent des lectures temporelles multiples. Pour autant, il n’existe pas de thème central dans la production. Il se dégage un certain nombre d’axes, de constances qui ne recoupent jamais la totalité des recherches mise en place. Si on s’interroge sur les limites et le temps comment aborder la photographie de ces deux boules Quies ? Comment relier le série des talons a la présence presque exclusive de formes organiques ?
Une chose est certaine, le travail de Laurette Atrux-Tallau impressionne par la qualité des images qu’elle nous offre à voir. Elle est l’une des jeunes photographe dont le travail par sa force ne cesse de nous enthousiasmer et dont les recherches nous promettent, à ne pas en douter, nombres d’émotions à venir.
Christophe Veys
Mai 2001.